Chapitre VIII

Publié le par playmobil74

  Grisée par cette évasion pulmonaire, je regagne cependant bien vite mon intérieur chauffé et étouffant. Les prisons dorés ont, il faut bien l’admettre, quelque chose de rassurant. Si je considère un instant que ma vie est prise en otage par la routine et la monotonie, il me faut également reconnaitre que je suis sans doute victime du syndrome de Stockholm. La liberté me ferait-elle peur ? Après tout, la porte est ouverte. Qu’est-ce qui m’empêche vraiment de la franchir, avec ou sans valise, et de partir sans jamais revenir ? Rien finalement. Rien à part moi et cette effrayante peur du néant, cette angoisse devant une vie à reconstruire et un quotidien à réinventer. Le courage n’existe pas s’il n’est pas teinté d’une bonne dose d’imagination. Cette petite étincelle qu’on appelle l’audace. Personnellement, alors que sonne 11 heures, et que mon reflet me dévisage sévèrement devant le miroir de l’entrée, je finis par ne pas me trouver l’air très aventurière dans ma robe de chambre déformée et délavée, les cheveux sales et les yeux rendus vitreux par une nuit trop longue.

 

La douche que je prends finalement n’y change pas grand-chose. La cabine ressemble à un cercueil et l’eau qui sort du pommeau à une pluie tiédasse. Il est 11h33 très exactement, au moment où je passe le shampooing sur mes cheveux en frottant mollement. Tout comme je le faisais hier exactement à la même heure. Et comme je le ferai certainement demain à la même heure. Finalement, cette eau qui coule le long de mon visage, de ma joue, de mon cou et de tout mon corps remplace plus chaudement les larmes que je n’arrive même plus à verser sur mon triste sort. Trois minutes plus tard, je suis sortie. S’essuyer mal, s’habiller vite, se maquiller léger, se parfumer un peu. Et se laver les dents. Bêtement mais frénétiquement. Voilà bien un geste idiot que ce rite matinal : enfiler dans sa bouche un bâton rempli de poils, se frotter les dents avec, en l’enfonçant presque au fond de la gorge comme s’il en allait de notre survie, puis rincer à l’eau en faisant des gargarismes tout aussi ridicules qu’épouvantables. Et cracher le tout en dégueulassant en même temps l’évier et le miroir. Le moment le plus éprouvant étant de loin cette minute interminable où le bras s’agite machinalement dans son exercice de récurage buccal tandis que, nous, restons sots devant la  glace à nous contempler nous-mêmes. Se peut-il que certains arrivent à se trouver séduisants et charmants au moment de cette auto-contemplation ? Ou s’agit-il d’un exercice universel d’humiliation narcissique destiné à ne pas ressortir de la salle de bains trop fier de ses atours ? Je ne sais pas. Faudra que j’en parle à mon dentiste au prochain rendez-vous.

 

Une chose est certaine en tout cas : tout comme ma brosse à dents s’agite dans ma bouche matin et soir, il va aussi falloir que je me bouge. Que j’arrête de pleurer sur mon sort, de tout mettre sur le dos mon mec et que je trouve un boulot. Que je change ma garde-robe et que j’apprenne à me coiffer. Mais cette vie dégueulasse m’a tellement sucé le sang en même temps que l’envie que je n’y arrive plus. Je ne vais pourtant pas passer les cinquante prochaines  années dans le même appartement, le même peignoir et la même merde. Rien que d’y penser, je sens déjà la corde autour de mon cou et le canon du revolver sur ma tempe. Je ne comprends pas encore très bien ce que l’avenir me réserve. Ou plus exactement ce que je réserve à l’avenir. Mais mon futur sera révolutionnaire ou ne sera pas. Il faut que je m’en persuade, que je me le répète. Sans cesse. Le courage finira bien par poindre son nez, lassé d’entendre mes jérémiades. Et alors. Alors… Demain, c’est décidé : je serai debout à 7 heures et je ne me laverai pas les dents.

Publié dans plus belle la vie

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